[Resf.info] Témoignages MIE . Aujourd'hui Mineur, Majeur : A la rue !

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Majeur pour l’ASE = à la rue ! Mineur pour le 115 = à la rue !

Retranscription du témoignage de Dian Malal Koulibaly lors de la session du Tribunal permanent des peuples , à Paris en janvier 2018, il y raconte son parcours depuis son arrivée en France et ce qu’il fait aujourd’hui, notamment en tant que fondateur et vice-président de l’association Melting Passes, association de foot pour les MIE à Paris.

Témoignage paru dans la revue Plein droit, n°118 https://www.gisti.org/spip.php?article6000

Je viens de Guinée Conakry. Je suis arrivé en France le 24 décembre 2015. Je vais vous parler de mon parcours en France.

Je suis arrivé seul, sans famille ni aucune connaissance. Je ne connaissais même pas où aller, où manger, où dormir, rien. Grâce aux bonnes personnes rencontrées, j’ai su où se trouve un endroit pour m’aider, une association à Jaurès qui m’a pris en charge pendant deux semaines. Mais je n’avais pas de papiers [pour prouver ma minorité] et ils ont dit qu’ils ne pouvaient pas poursuivre la prise en charge. Je leur ai raconté pourquoi je suis venu en France. Mais comme je n’avais pas de papiers, ils ne me croyaient pas et pensaient que j’étais majeur. Ils m’ont relâché et je me suis retrouvé à la rue. À ce moment-là, je ne savais pas qu’on pouvait faire des recours contre leur décision. Je ne savais pas où aller ni où manger, je ne savais rien. J’ai donc demandé aux gens dans la rue qui m’ont renseigné car c’est pas facile de vivre à la rue en hiver. Ils m’ont conseillé d’appeler le 115 [chargé de l’hébergement d’urgence des personnes sans-abri]. Mais au 115, on m’a dit qu’ils n’avaient pas le droit d’héberger les mineurs. Ils m’ont renvoyé vers l’Adjie [Accompagnement et défense des jeunes isolés étrangers, une association qui propose un accompagnement juridique]. Mais je ne connaissais rien, je ne connaissais pas la ville, je ne savais pas prendre le métro. Je suis resté encore quelques jours à la rue avant de trouver l’adresse de l’Adjie. Je pensais que j’allais pouvoir enfin dormir au chaud, mais l’Adjie ne pouvait rien pour moi. Mais ils m’ont donné de bons conseils comme augmenter mon âge pour pouvoir dormir au 115. J’ai commencé à dormir là-bas, mais les gens du 115 me demandaient ce que je faisais là. Je leur ai répondu que je n’avais pas le choix.

Je n’avais pas de contact de ma famille. Sans papiers [pour prouver mon âge], je ne pouvais pas faire de recours. Il fallait un document. J’ai attendu encore longtemps avant d’avoir le contact d’une personne qui n’est même pas de ma famille, puisque ma famille est séparée, que mon père est décédé et que ma mère a quitté la Guinée. Cette personne a pu trouver le bon papier qu’elle a envoyé à l’Adjie. On a alors fait le recours ; ça a pris au moins cinq mois avant de voir le juge. Mais j’avais déjà passé un test fin janvier pour l’inscription à l’école. C’était mon objectif d’aller à l’école et de continuer mes études. Le juge m’a dit, après avoir entendu mon parcours depuis mon pays jusqu’en France, que seuls importaient mes papiers pour savoir si je pouvais être pris en charge.

Tout ça a duré très longtemps, mais j’ai eu la chance de rencontrer les bonnes personnes qui m’ont hébergé dans différents endroits, après avoir quitté le 115 car je ne pouvais pas rester là-bas. Après deux ou trois mois, mon avocate avait une bonne nouvelle : ma prise en charge était acceptée. Mais je n’ai pas tout de suite été mis à l’abri, ils m’ont fait circuler, circuler, m’ont mis dans des endroits où je n’étais pas suivi. OK, c’était dur, mais comme je ne suis pas timide, je sais parler, dire ce que je veux… Après quelques mois, j’ai été mis à l’hôtel, mais sans aucun suivi. Tout ce qui les concernait, c’était que je vienne, qu’ils me donnent de l’argent de poche et que j’aille à l’école. Mais à ce moment-là, j’avais du mal à dormir. Et quand je tombais malade, je ne savais pas comment faire. Je n’avais pas de possibilités d’aller à l’hôpital, je ne savais pas comment être pris en charge. Aucun suivi. J’ai réussi mon affectation après avoir été pris en charge à partir du mois d’octobre 2016. Là, j’ai commencé à souffler un peu. J’avais obtenu ce que je voulais : aller à l’école.

Question du jury : Quelle votre situation actuelle ? Vous avez laissé de la famille en Guinée ?

Dian Malal Koulibaly : C’est une bonne question. Je n’ai plus de famille en Guinée car ma mère est partie vivre en Gambie, mon père est décédé. Je suis en seconde bac pro, en alternance, en construction automobile, et j’ai une association aussi, qui m’appartient.

Question : Je vois que vous vous occupez d’une association qui concerne le football. On sait que de nombreux jeunes quittent leur pays, aguichés par le fait de devenir des footballeurs professionnels en Europe. J’en ai vu, qui avaient 13 ou 14 ans, qui étaient parvenus en France, en suivant des recruteurs. Mais beaucoup sont dans la nature et connaissent le même sort que vous. Êtes-vous parvenu à les sensibiliser pour qu’ils arrêtent de suivre les recruteurs ?

D. M. K. : Je n’en sais rien. Je ne suis pas venu comme ça et ne connais rien de cette situation. Je suis venu pour avoir une meilleure vie, vivre en sécurité et préparer l’avenir.

Question : Pour plus de précision, vous vous occupez de l’association de football Melting Passes. Vous recevez des jeunes mineurs qui viennent pour jouer au football. Quelles informations, quelle aide vous leur donnez ?

D. M. K. : Je suis capitaine de l’équipe et vice-président de l’association. Si je suis là aujourd’hui, c’est que cette association nous apporte beaucoup. Si je suis heureux, c’est grâce à cette association. Elle m’a beaucoup aidé à trouver du travail et mon contrat d’alternance, à trouver des vêtements ; elle me permet de rigoler, d’avoir des amis. Cette association est maintenant devenue une famille. Depuis sa création, on a vu plein de jeunes qui sont dans ma situation d’avant. Moi, tout ce que je fais, c’est de les rassurer, de les motiver, de leur dire qu’ils vont y arriver, qu’il ne faut rien lâcher, comme moi j’y suis arrivé. Je suis là aujourd’hui, je suis content parfois. Pour eux aussi, ça va venir un jour.

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